Thème du texte : Le don

Le don

À une époque où l’art arbore le revendicatif, pose le ton de l’agression, aime bousculer, faire chavirer son environnement – cela lorsqu’il ne porte pas atteinte à lui-même – Gilles Guias pose un monde tout autre où il choisit et laisse la place à ce qui importe. Au travers de son riche parcours artistique qui l’a mené de l’abstraction à la figuration, son cycle Les choses importantes ouvre un nouveau champ pour cette peinture narrative à laquelle il s’adonne désormais.

Une composition claire et harmonieuse distribue une scène d’une grande sérénité. Au cœur d’un intérieur dépouillé et brossé de larges aplats nuancés, une figure humaine, isolée et de profil, se penche et étend les bras, tenant en ses mains une écuelle posée au bord d’une surface plane et pleine se prolongeant à la droite du tableau. Au cœur de ce cadre abstrait, ce personnage semble se pencher pour offrir à un hors champ cette coupelle à la simplicité de Graal, baignée d’une lumière aussi douce qu’irradiante, et qui construit un axe pour une réflexion sur l’acte de donner.

Se focalisant sur cette scène peinte avec tendresse et humilité, que voyons-nous exactement ? L’homme se penche, sans courber l’échine, étend les bras et les ouvre tenant en leur bout une écuelle: ce geste de donner est, après tout, le même geste que celui de recevoir. L’écuelle est-elle offrande ou réceptacle ? L’homme est-il en train de donner, ou de recevoir ? De cette interrogation suit la constatation que, dans sa manière de représenter le don, Gilles Guias trouble les polarités de cet acte et les rend indiscernables, inutiles, hors sujet.

Aussi, il est un détail troublant : on ne voit pas ce qu’il y a dans la soucoupe. Malgré la légère plongée qui offre la vision de son ventre, on ne le voit pas car les mains le couvrent ; ces grandes mains, dont une tendre disproportion recouvre l’objet du don. C’est ici un don « sans objet », où le geste seul importe. Par ailleurs, ce geste est destiné à – ou donné par – un hors champ suspendu. En reculant, on constatera que nous ne voyons ni les jambes ni les pieds de ce personnage messager et représentant du don. Dans un sens, il apparaît que son objet, son origine, son enracinement tout comme sa destination n’ont pas d’importance, sont exclues. Ils sont exclues de la toile tout comme ils le sont de la notion même du don.

Dans le parcours de Gilles Guias, le Don fait ainsi acte d’une peinture qui, dans le chemin entre l’abstraction et la figuration, transcende l’homme en une forme archétypale, dans une figuration qui devient incarnation, et où le geste se fait signe. Le Don, tout comme l’univers de cette nouvelle production tendre sereine et apaisée dont il est tiré, témoigne de l’humilité d’une peinture dont le langage est à même de formuler ces interrogations essentielles, tout à la fois personnelles qu’universelles, et se présente comme un lieu de passage, un moment entre méditation et réflexion.

Florence Joseph