Thème du texte : L’irréversibilité

L’irréversibilité

Il est convenu de dire d’une chose qu’elle est irréversible quand une fois réalisée, il est impossible de revenir au point de départ : comme avant sa réalisation. Constatons que si cette chose est le temps qui passe, alors la vie elle-même est par nature irréversible et chaque souffle nouveau nous fait devenir autre. Mais plus modestement, si nous posons comme limite l’acte d’agir, en quoi cet acte pose la question de l’irréversibilité, de cet impossible retour ? En premier lieu, il semble que tout geste artistique puisse faire marche arrière. Le faire et le défaire pour mieux refaire est de mise dans l’art et l’œuvre achevée passe par ce processus de construction-reconstruction. Ainsi l’irréversible pourrait donc ne pas avoir d’emprise sur la création.

Force est de constater que la question de l’irréversibilité dans l’art reste toutefois pertinente. En effet si l’œuvre est le moment de vérité pour ceux qui la découvre, combien de tentatives faudra-t-il réaliser pour arriver à son achèvement. Ces étapes successives font partie intégrante de l’œuvre et témoigne du processus irréversible de sa création.

L’artiste plasticien Gilles Guias nous propose une représentation de l’irréversibilité, cette chose « importante » comme il le rappelle à l’occasion de sa nouvelle exposition intitulée « Les choses importantes ». Et si l’irréversible était cette frontière de l’entre-deux, ce passage entre ombre et lumière, entre connu et inconnu, symbolisée ici par cet homme plongé dans cette atmosphère de clair-obscur. Ainsi l’homme, dès lors qu’il entrevoit une issue possible, semble ne plus pouvoir faire marche arrière. En s’engageant dans ce passage, le retour devient impossible et ce quel qu’en soit le prix. Comment ne pas faire référence ici à l’actualité de ces migrants qui portés par l’espoir d’un ailleurs meilleur, choisissent d’emprunter le chemin de l’exil, parcours incertain, souvent tragique et toujours irréversible.

Cet homme où va-t-il ? que cherche-t-il ? Est-il contraint ou fait-il un acte délibéré ? Quoi qu’il en soit, il semble déterminé. Comme pour signifier que la vie est façonnée par nos choix. S’engager c’est prendre des directions qui comportent des risques. Comme tous risques, ceux-ci doivent-être mesurés mais sans cette prise de risque, ce pas vers l’inconnu, vers l’irréversible, le plus grand risque serait de ne pas vivre sa vie.

La peinture de Gilles Guias, en interrogeant l’irréversibilité, semble nous éclairer dans cette voie.

Patrick Delgado