Thème du texte : L’humilité
L’humilité
Deux personnages. Le premier est assis, la main lasse posée sur le coin d’une table, l’autre appuyée sur sa cuisse ; son visage est illuminé par une chemise jaune.
Derrière lui, à droite du tableau, un homme debout, dans une attitude d’attente placide. Il se tient en retrait, le visage dans l’ombre ; pantalon sombre et chemise claire, ses mains jointes comme celles d’un serviteur qui patiente.
Ce qui passionne Gilles Guias, quand il peint, c’est l’histoire qui va se raconter autour de ces silhouettes. Tentons d’en proposer une.
Les formes colorées du décor sont agencées à la façon des œuvres de Rothko. La scène est d’intérieur mais le bleu, derrière l’homme debout, nous ouvre l’espace vers l’extérieur. L’on comprend dès lors que l’enjeu du tableau se tient ici, autour de ce personnage du fond : il assure un lien entre cet espace intérieur où est assis le premier homme, et l’extérieur. C’est lui qui a donc la place la plus importante, malgré sa présence modeste dans la distribution des rôles : l’homme assis devrait pourtant concentrer l’attention du spectateur, puisque c’est lui qui donne l’impression de poser pour l’artiste.
L’image, dans son ensemble, me rappelle immédiatement certains autoportraits de Munch, dont le caractère tragique – du moins dramatique – s’inscrit durablement dans l’esprit : le climat, la mise en scène, l’allure des personnages. Les personnages ? Se pourrait-il qu’ils soient deux représentations d’un seul et même homme ? L’un qui se met dans la lumière, tente de la capter, mais assumant avec peine son image officielle si l’on en croit les marques de fatigue (il a des allures d’Henri Michaux perplexe), et l’autre, plus intime, intérieure, dont la chemise blanche attire subtilement l’œil, dans sa raideur immuable d’homme qui attend, qui prend racine, en pantalon couleur de tronc, couleur de terre… Ce brun sombre réunit d’ailleurs nos deux hommes : c’est cette même teinte qui sert de fond derrière les jambes du personnage assis. Ils ont les pieds dans ce même humus, ce terreau nourricier où nous sommes tous appelés tôt ou tard à retourner. L’homme intime le sait, d’où sa posture discrète derrière l’homme sur la chaise.
L’homme doit accepter sa condition, avec humilité : accepter de se trouver bas, près de la terre, selon l’étymologie du terme ; accepter, en conscience, de n’être finalement qu’un peu de boue, et d’attendre avec une sagesse placide l’heure du retour aux sources. En attendant ce moment, il nous faut meubler le temps de la vie, en peignant, par exemple, comme le fait depuis plus de trente ans, humblement mais avec une expressivité certaine, Gilles Guias.
À travers cette scène simple, banale presque, l’artiste réinterprète avec une grande sobriété, à sa façon, l’éternel memento mori, en nous renvoyant à nous-mêmes, face à notre propre vanité. Comprenons-le bien : les « choses importantes » se cachent souvent derrière ce qui peut paraître anodin…
Jean-Henri Maisonneuve